Politique & Société

CENTIF : Le Bénin en première ligne dans la guerre contre l’argent sale

Depuis près de deux décennies, le Bénin s’est doté d’un bouclier stratégique dans la guerre silencieuse contre l’argent sale : la Cellule nationale de traitement des informations financières (CENTIF). Créée en 2006 sous l’impulsion de la Directive n°07/2002/CM/UEMOA, cette structure incarne aujourd’hui le nerf d’une bataille capitale – celle pour la stabilité économique, l’intégrité du système financier et la crédibilité internationale du pays.
Loin d’un simple organe administratif, la CENTIF est l’épine dorsale du dispositif béninois de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et, depuis février 2024, la prolifération des armes de destruction massive. Cette dernière évolution législative – portée par la Loi n°2024-1 – marque une nouvelle étape dans l’adaptation du Bénin aux normes internationales, au moment où la menace transnationale se complexifie.
Car il ne s’agit pas ici d’une affaire technique réservée aux juristes ou aux comptables. Le blanchiment de capitaux n’est pas un crime sans victime. Il tue l’économie à petit feu. Il prive les États de recettes fiscales, alimente la corruption, et permet à des activités criminelles de se légitimer au sein de l’économie réelle. Comme le rappelle Abdou Rafiou Bello, Président de la CENTIF, l’introduction de flux illicites dans une économie n’est pas neutre : elle rend le système financier fragile, volage, voire captif de réseaux criminels. Une véritable gangrène.

Un modèle sous-régional en construction
Le parcours de la CENTIF n’a pas été linéaire. Mais il est exemplaire. En 19 ans, l’institution a su passer de la sensibilisation à l’action, puis à l’influence. Les premiers mandats ont permis de poser les bases : formation des acteurs, diffusion d’une culture du risque, adaptation du cadre légal. Puis vint la phase de mise en conformité avec les standards internationaux du GAFI et du GIABA. Enfin, aujourd’hui, la CENTIF entre dans l’ère de la performance et de la digitalisation.
Entre 2019 et 2024, ce sont 1 631 dossiers qui ont été analysés, 104 transmis au Procureur Spécial près la CRIET, et 850 partagés avec les autorités fiscales, douanières et sécuritaires. L’impact est tangible : rien qu’en 2024, la Direction Générale des Impôts a pu récupérer près de 4,9 milliards de francs CFA à la suite des rapports de la CENTIF. Une démonstration claire de la valeur ajoutée du renseignement financier au service des finances publiques.

L’information financière comme arme
La force de la CENTIF réside dans son modèle : une cellule de renseignement dotée d’une indépendance opérationnelle, capable de recevoir et d’analyser des informations sensibles sans subir d’influences. Son droit de communication étendu lui permet d’accéder à toutes les sources – banques, notaires, transporteurs de fonds, casinos, crypto-acteurs – sans que le secret professionnel puisse être opposé. Une nécessité, pas un luxe.
Mais cette force, elle la tire aussi de ses partenariats. Avec la Direction Générale des Impôts, la Brigade Économique et Financière, la Police Républicaine, le CNIN… et désormais avec des acteurs clés comme Bénin Contrôl, dont le rôle est central dans le circuit des importations. Grâce à ces conventions, la CENTIF capte les signaux faibles, ces anomalies douanières ou bancaires qui pourraient dissimuler des activités criminelles.
Et surtout, la CENTIF n’est pas seule. Elle est membre du Groupe Egmont, cette alliance mondiale de 177 cellules de renseignement financier, mais aussi des réseaux régionaux de l’UEMOA, de la CEDEAO et du bassin du Lac Tchad. Ce maillage permet d’enquêter au-delà des frontières, là où se tissent les réseaux criminels les plus puissants.

Rétablir la confiance, éduquer sans effrayer
L’un des malentendus persistants reste la perception du rôle de la CENTIF dans l’opinion publique. Non, cette cellule n’est pas une police secrète qui surveille les citoyens. Non, elle ne traque pas les déposants dans les banques. Comme l’explique son président, il ne faut pas craindre la CENTIF, mais plutôt redouter l’absence de CENTIF.
Car un pays dont le dispositif anti-blanchiment est jugé défaillant est immédiatement stigmatisé. Il devient risqué aux yeux des investisseurs. Ses banques perdent leurs correspondants internationaux. Les transferts deviennent coûteux, l’importation difficile, et l’inflation guette. En somme, ce sont les citoyens ordinaires, les entreprises locales et même l’État qui paient la facture.

La CENTIF de demain : connectée, moderne, stratégique
Depuis sa prise de fonction le 31 juillet 2024, Abdou Rafiou Bello a tracé une feuille de route claire : renforcer l’efficacité de l’analyse, moderniser les outils, interconnecter les bases de données, digitaliser les procédures. Le Bénin, dit-il, dispose d’un avantage compétitif rare en Afrique de l’Ouest : des bases de données riches sur les personnes, les entreprises, les voyages, les biens. Il ne reste qu’à les mobiliser intelligemment.
L’objectif ? Produire un renseignement financier de haute qualité, apte à faire échec aux circuits criminels, à accompagner les juges, les policiers et les douaniers, et à garantir la santé de l’économie nationale.
Dans un monde où l’argent sale circule plus vite que les lois, où la criminalité transnationale évolue à la vitesse d’Internet, le Bénin, à travers la CENTIF, montre qu’il est possible de faire face. Avec méthode. Avec vision. Avec intégrité.

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